Norman
Finkelstein : « Cessez-le feu ou reddition ? »
Israël
revendique le droit d'annexer la Palestine
Vidéo originale : https://www.youtube.com/watch?v=NIg2XeSrx18 (27 juillet 2014)
Voir également : Norman Finkelstein sur Gaza : le droit est du côté du Hamas
Retranscription :
Traduction :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
Certaines
personnes ont suggéré qu'au lieu d'écrire mes analyses dans des
articles, je le fasse dans des vidéos pour faire savoir ce qui se
passe avec le massacre israélien actuel à Gaza. Chaque fois que je
m'exprimerai sur Internet, j'essaierai de me concentrer sur une
question particulière. Ce sera donc ma première tentative, et on
verra si cela a du succès.
Aujourd'hui,
je vais me consacrer à la proposition faite par le Secrétaire
d'Etat [John] Kerry pour mettre fin au cycle actuel de violences –
ce ne sont pas vraiment des violences, c'est un massacre israélien.
Il y a plusieurs versions de cette proposition de Kerry qui circulent
sur Internet. Il est impossible pour un observateur extérieur de
déterminer quelle est la véritable version proposée par Kerry au
cabinet israélien. Mais ce n'est pas vraiment important, car la
substance de toutes les versions de la proposition est la même, à
savoir le qui pro quo : afin qu'Israël lève le blocus de
Gaza, on demande aux Palestiniens de « répondre à toutes les
préoccupations sécuritaires israéliennes », ce qui n'est
qu'un euphémisme pour dire que les Palestiniens doivent procéder à
un désarmement. Je vais donc d'abord évoquer la question du blocus,
et voir ensuite si les Palestiniens doivent effectivement procéder à
un désarmement.
La question
du blocus est assez claire : au regard du droit international, le
blocus de Gaza constitue une forme de punition collective, et il est
donc illégal d'après le droit international. C'est là le consensus
légal – à l'exception d'Israël et de ses apologistes –, à
savoir que le blocus est illégal. Il ne peut donc y avoir aucun
qualificatif, aucun caveat (arguties), aucun « si »,
« et » ou « mais » : le blocus étant une
forme de punition collective, il doit être levé.
Il est
important de garder à l'esprit que dans les accords précédents –
l'accord de cessez-le-feu de juin 2008, l'accord de cessez-le-feu de
novembre 2012 –, dans les deux accords de cessez-le-feu précedents,
il n'avait jamais été stipulé ni demandé aux Palestiniens de
procéder à un désarmement en échange de la levée du blocus.
Chacun des deux accords stipulait clairement que le blocus de Gaza
devait prendre fin progressivement, et ce qui s'est produit dans les
deux cas, c'est qu'Israël a renié ses engagements sur cette
question, mais aucun de ces accords de cessez-le-feu, que ce soit en
juin 2008 ou en novembre 2012, aucun n'appelait les Palestiniens au
désarmement en tant que condition pour mettre fin au blocus. Donc
cette nouvelle clause a été ajoutée, « répondre à toutes
les préoccupations sécuritaires israéliennes », ce qui est
distinct d'un cessez-le-feu : « répondre à toutes les
préoccupations sécuritaires israéliennes » – ce qui en réalité
signifie que les Palestiniens doivent procéder à un désarmement –,
c'est sans précédent et, bien évidemment, cela n'a aucun fondement
dans le droit international car le blocus est illégal et doit être
levé sans considération pour les préoccupations sécuritaires
d'Israël.
Considérons
maintenant cette question des préoccupations sécuritaires
israéliennes. Est-ce qu'Israël a le droit d'exiger des Palestiniens
du Hamas et des (autres) groupes militants palestiniens qu'ils
procèdent à un désarmement ? Le droit international est
parfaitement clair sur ce point : d'après le droit international, un
peuple engagé dans une lutte pour l'auto-détermination n'a pas
l'obligation légale de ne pas recourir à la force.
Au sujet des peuples luttant pour leur auto-détermination, le droit
international dit ou bien que la loi est neutre sur ce point, ou bien
que ces peuples doivent recourir à la force. Ce qui est clair, c'est
que d'après le droit international, le recours à la force n'est PAS
illégal pour ceux qui luttent pour leur auto-détermination. D'un
autre côté, d'après le droit international, un Etat qui essaye
d'écraser un mouvement pour l'auto-détermination – Israël dans
ce cas – n'a pas le droit de recourir à la force. Par conséquent,
ce que nous avons ici est exactement et précisément une inversion
du droit international : ceux qui combattent pour leur
auto-détermination se voient ainsi dire que la condition de la levée
du blocus est qu'ils renoncent à l'usage de la force, mais une telle
exigence n'est nullement imposée à la puissance qui écrase la
lutte pour l'auto-détermination.
En
réalité, l'euphémisme « répondre à toutes les
préoccupations sécuritaires israéliennes » dit en substance
qu'Israël a le droit de sécuriser l'occupation. Et c'est une
contradiction dans les termes, littéralement : car d'après le droit
international, la caractéristique, la spécificité la plus
fondamentale d'une occupation – si vous consultez n'importe quel
texte de loi de droit international – la première chose qui est
stipulée est qu'une occupation est censée être temporaire. En un
mot, une occupation est censée prendre fin. Si une occupation ne
prend pas fin, ce n'est pas une occupation, c'est une annexion. Dans
le droit international, une annexion est illégale.
Donc
lorsque Israël parle de son droit de voir toutes ses préoccupations
sécuritaires assurées, il ne parle pas de son droit à protéger
son pays, mais il invoque le droit de sécuriser (perpétuer
impunément) son occupation.
Concrètement,
qu'est-ce que cela signifie ? Considérons le stade auquel étaient
parvenues les négociations (israélo-palestiniennes) avant le
déclenchement des hostilités actuelles, avant qu'Israël ne lance
son dernier massacre. Jetons un œil sur les négociations. Les
événements ne sont pas absolument transparents, mais ils sont assez
clairs. Le côté palestinien, l'Autorité palestinienne, était
d'accord pour concéder à Israël toutes ses exigences principales :
ils étaient d'accord pour concéder les blocs de colonies
israéliennes, ils étaient d'accord pour concéder à Israël le
droit de retour des Palestiniens (= l'annuler). Donc en fait, les
Palestiniens offraient à Israël non pas une résolution (du
conflit) sur la base du droit international, les Palestiniens
offraient à Israël une reddition. Et les Israéliens ont refusé
une reddition palestinienne, déterminés à maintenir l'occupation
éternellement. C'était évident même dans la déclaration du
Secrétaire d'Etat (John) Kerry, lorsqu'il s'est exprimé devant le
Comité du Congrès, il a dit : « Pfff... Ce sont les Israéliens
qui, de fait, ont mis fin aux négociations et ont rendu une
résolution du conflit impossible. »
Donc
une chose peut être établie avec ce qu'on pourrait appeler une
« certitude scientifique » : quelles que soient les
circonstances, Israël ne mettra jamais fin à l'occupation. Ainsi,
lorsque Israël exige que toutes ses préoccupations sécuritaires
soient assurées, cela signifie qu'Israël exige le droit de
maintenir éternellement son occupation, ET il exige simultanément
que les Palestiniens se désarment, que les Palestiniens cessent de
résister à l'occupation et qu'ils mettent fin à leur combat pour
l'auto-détermination. Voilà ce que signifie véritablement
l'exigence d'Israël de voir ses préoccupations sécuritaires
assurées, car Israël conçoit toute expression du combat des
Palestiniens pour l'auto-détermination, Israël conçoit toute
expression d'un combat pour l'auto-détermination comme menaçant sa
sécurité, ou ses « préoccupations sécuritaires ».
Ainsi, ce qui est véritablement dit à présent, c'est qu'Israël
lèvera le blocus à Gaza si et lorsque les Palestiniens cesseront de
lutter pour leur auto-détermination, cessent de lutter pour leur
indépendance, cessent de lutter pour avoir un Etat, et que les
Palestiniens acceptent que l'occupation se perpétue éternellement.
Sans
même parler du point de vue moral, tout cela n'a aucun sens du point
de vue légal. Si Israël exige que toutes ses préoccupations
sécuritaires soient assurées, si « toutes ses préoccupations
sécuritaires » incluent toute manifestation palestinienne de
leur lutte pour l'auto-détermination, et si cela signifie que
l'occupation va se perpétuer éternellement, alors ce n'est pas une
occupation : c'est une annexion. Et une annexion est – de manière
flagrante, évidente, sans controverse possible – illégale d'après
le droit international. C'est le principe le plus élémentaire de la
Charte des Nations Unies, et il a été exprimé dans la résolution
242 de l'ONU [adoptée unanimement en 1967, après la guerre des
six-jours, déclarant l'occupation des territoires palestiniens,
égyptiens et syriens par Israël illégale] : « il est inadmissible
pour un pays de faire l'acquisition de territoires par la guerre. »
Israël a acquis la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est par la
guerre, et n'a donc aucun droit à ces territoires. S'ils exigent –
et c'est bien le cas – un droit à annexer ces territoires, alors
c'est clairement, manifestement et de manière flagrante une
violation du droit international.