REVUE DE PRESSE [RDP]
Source : http://www.foreignaffairs.com/discussions/interviews/syrias-president-speaks
Traduction : http://www.mondialisation.ca/conversation-avec-le-president-syrien-bachar-al-assad/5427957
Entrevue réalisée par Foreign Affairs Magazine [Texte intégral]
Le 20 janvier 2015, à Damas, le Président syrien Bachar al-Assad a
accordé une entrevue à M. Jonathan Tepperman, Rédacteur en chef du
Foreign Affairs Magazine. Voici le texte intégral publié simultanément
le lundi 26 janvier 2015, en anglais et en arabe, par le magazine
newyorkais, le site de la Présidence syrienne et l’Agence Arabe
Syrienne d’Information SANA. Nous l’avons traduit à partir de la version
anglaise. [NdT].
J’aimerais commencer par vous interroger sur la guerre. Elle dure depuis
près de quatre années et vous en connaissez les statistiques : selon
l’ONU, plus de deux cent mille personnes tuées, un million de blessés et
plus de trois millions de Syriens ayant fui le pays. Vos forces ont
aussi subi de lourdes pertes. La guerre ne peut durer éternellement.
Comment en voyez-vous la fin ?
Partout dans monde, toutes les guerres se sont toujours soldées par
une solution politique parce que la guerre, en elle-même, n’est pas la
solution. La guerre est l’un des instruments de la politique. Ainsi vous
finissez par une solution politique. Globalement, c’est ainsi que nous
la voyons.
Vous ne pensez pas que cette guerre se réglera militairement ?
Non. Toute guerre se termine par une solution politique.
Votre pays est de plus en plus divisé. On pourrait parler
de trois mini-états : l’un contrôlé par le gouvernement, l’autre
contrôlé par l’EIIL et Jabhat al-Nousra, puis un autre contrôlé par
l’opposition sunnite et kurde plus laïque. Comment allez-vous faire pour
rassembler et réunifier la Syrie ?
Tout d’abord, cette image n’est pas exacte, parce que vous ne pouvez
parler de mini-états sans parler des gens qui y vivent. Le peuple syrien
est toujours pour l’unité de la Syrie et soutient toujours son
gouvernement. Les factions que vous avez citées contrôlent certaines
régions, mais se déplacent d’une région à une autre. Elles sont
instables, sans lignes de démarcation claires entre les différentes
forces. Parfois, elles s’associent avant de se déplacer. La question
principale concerne la population. Et la population soutient toujours
l’État indépendamment de son soutien, ou non, à sa politique. Je veux
dire que la population soutient l’État en tant que représentant de
l’unité de la Syrie. Donc, tant que le peuple syrien croit en l’unité,
tout gouvernement et tout représentant officiel peut unifier la Syrie.
En revanche, si le peuple est divisé en deux, trois ou quatre groupes,
nul ne peut unifier le pays. Voilà comment nous voyons les choses.
Vous pensez vraiment que les sunnites et les Kurdes croient encore en une Syrie unifiée ?
Si vous vous rendiez à Damas aujourd’hui, vous constateriez que les
différentes couleurs de notre société -disons le-ainsi- vivent ensemble.
En Syrie, les divisions ne se fondent pas sur des bases
confessionnelles ou ethniques. Même dans la région kurde dont vous
parlez, nous avons deux couleurs différentes : les Arabes étant plus
nombreux que les Kurdes. Il ne s’agit donc pas d’une question d’ordre
ethnique, mais de factions qui contrôlent, militairement, certaines
zones du pays.
Il y a un an, l’opposition ainsi que les gouvernements
étrangers soutenaient que votre destitution était la condition préalable
aux négociations. Ce n’est plus le cas. Les diplomates sont maintenant à
la recherche d’une solution intermédiaire qui vous permettrait de
garder un rôle. Aujourd’hui même, le New York Times a publié un article
concernant le soutien appuyé des États-Unis en faveur des initiatives de
paix russe et onusienne. L‘article souligne que : « L’Occident n’exige
pratiquement plus que le président de la Syrie quitte immédiatement le
pouvoir ». Vu ce changement d’attitude de la part de l’Occident,
êtes-vous désormais plus ouvert à une solution négociée du conflit
menant à une transition politique ?
Dès le tout début nous étions ouverts. Nous nous sommes engagés dans
un dialogue avec chaque partie en Syrie, qu’il s’agisse d’un parti, d’un
courant, d’une personnalité et de n’importe quelle entité politiques.
Nous avons modifié la Constitution et nous sommes ouverts à toutes les
discussions. Mais quand vous voulez agir, vous ne le faites pas en
fonction de l’opposition ou du gouvernement, mais en fonction des
Syriens. Il se trouve parfois que vous ayez affaire à une majorité qui
n’appartient à aucun courant. Donc, aussi longtemps que vous vous
attaquez à un problème national et que vous voulez le changement, chaque
Syrien a son mot à dire. Ainsi, le dialogue ne peut se résumer au
gouvernement et à l’opposition, mais doit s’instaurer entre les
différentes parties et entités syriennes. Voilà comment nous envisageons
le dialogue. C’est là un premier point. Le deuxième est que, quelle que
soit la solution que vous adoptiez, vous devrez finalement revenir vers
le peuple par voie de référendum, parce que vous parlez de Constitution
ou de modification d’un système politique. Vous devrez consulter le
peuple syrien. Ce n’est pas la même chose que de s’engager dans un
dialogue et de prendre des décisions. Le dialogue ne peut se faire
uniquement entre le gouvernement et l’opposition.
Donc, vous êtes entrain de dire que vous n’accepterez
aucune sorte de transition politique qui n’ait été soutenue par voie
référendaire ?
Exactement. C’est au peuple de prendre la décision et à personne d’autre.
Est-ce que cela signifie qu’il n’y a pas place pour les négociations ?
Non, nous irons en Russie, nous nous rendrons à ces négociations,
mais la question qui se pose est : avec qui négocierons-nous ? En tant
que gouvernement, nous avons des institutions, nous avons une armée, et
nous avons une influence, positive ou négative, dans n’importe quelle
direction et à tout moment ; alors que les gens avec lesquels nous
allons négocier : qui représentent-ils ? Là est la question. Parler
d’opposition implique d’en préciser le sens. En général, l’opposition
dispose de représentants dans l’administration locale, au parlement,
dans les institutions, et ses représentants doivent s’appuyer sur des
racines populaires qui les délèguent. Dans la crise actuelle, vous devez
vous poser des questions quant à l’influence de l’opposition sur le
terrain. Vous devez vous rappeler ce que les rebelles ont déclaré
publiquement et à plusieurs reprises : « l’opposition ne nous représente
pas ». Si donc, vous envisagez un dialogue fructueux, il devra être
entre le gouvernement et les rebelles. Par ailleurs, l’opposition
signifie qu’elle est nationale, c’est-à-dire de travailler dans
l’intérêt du peuple syrien. Il ne peut s’agir de marionnettes du Qatar,
de l’Arabie saoudite, ou de n’importe quel pays occidental dont les
États-Unis, payées par l’étranger. Elle doit être syrienne. Nous avons
une opposition nationale. Je ne l’exclue pas ; je ne dis pas que toute
opposition est illégitime. Mais vous devez distinguer entre le national
et les marionnettes. Tout dialogue n’est pas fructueux.
Est-ce que cela signifie que vous ne voulez pas rencontrer les forces de l’opposition soutenues par des pays étrangers ?
Nous allons rencontrer tout le monde. Nous n’avons pas posé de conditions.
Pas de conditions ?
Pas de conditions.
Vous rencontrerez tout le monde ?
Oui, nous allons rencontrer tout le monde. Mais il faudra demander à
chacun : « Qui représentez-vous ? ». C’est ce que je veux dire.
Si je ne me trompe, l’adjoint de l’Émissaire spécial de
l’ONU Staffan de Mistura est actuellement en Syrie. Comme mesure
provisoire, ils proposent un cessez-le feu et un gel des combats à Alep.
Accepteriez-vous cette proposition ?
Oui, bien sûr. Nous l’avons pratiquée bien avant que de Mistura n’ait
pris ses fonctions. Nous l’avons mise en œuvre à Homs, une autre grande
ville, et l’avons aussi expérimentée à plus petite échelle dans
différentes banlieues, villages ou autres. Elle a réussi. L’idée est
donc très bonne, mais dépend des détails. De Mistura est venu en Syrie
avec de gros titres. Nous en avons accepté certains et attendons son
calendrier ou son plan détaillé de A à Z. Nous en discutons avec son
adjoint.
Dans le passé, vous avez exigé, comme condition préalable
au cessez-le-feu, que les rebelles déposent leurs armes ; ce qui, de
leur point de vue, est évidemment inacceptable. Est-ce toujours votre
pré-condition ?
Nous choisissons différents scénarios ou différentes réconciliations.
Dans certaines régions, nous leur avons permis de quitter les zones
habitées afin d’éviter des victimes parmi les civils. Ils ont quitté en
emportant leurs armements. Dans d’autres régions, ils ont déposé leurs
armes avant de quitter. Cela dépend de ce qu’ils offrent et de ce que
vous leur proposez.
Je ne suis pas sûr d’avoir compris votre réponse. Exigez-vous qu’ils déposent leurs armes ?
Non. Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que dans certaines régions, ils ont abandonné le terrain sans déposer leurs armes.
Êtes-vous optimiste sur les négociations de Moscou ?
Ce qui se passe à Moscou ne correspond pas à des négociations sur la
solution; ce ne sont que les préparatifs en vue de la conférence.
Donc, des négociations vers les négociations ?
Exactement, ou comment se préparer aux négociations. S’agissant d’une
conférence, il s’agit d’en déterminer les principes. Je reviens vers le
même point sur lequel vous me permettrez d’être franc : comme je l’ai
déjà dit, certains groupes sont des marionnettes manipulées par d’autres
pays et doivent mettre en œuvre leur agenda. Je sais que nombre de
pays, telle la France par exemple, n’ont pas intérêt à ce que cette
conférence réussisse. Ils donneront donc des ordres pour qu’elle échoue.
Vous avez d’autres personnalités qui ne représentent qu’eux-mêmes. Ils
ne représentent personne en Syrie, certains n’ayant jamais vécu au pays
ne connaissent rien de la Syrie. Et, bien sûr, vous avez d’autres
personnalités qui travaillent pour l’intérêt national. Donc, quand vous
parlez de l’opposition comme d’une seule entité, il s’agit de savoir qui
va influencer l’autre. Là est la question. Ce n’est pas clair pour le
moment. Par conséquent, l’optimisme serait exagéré. Je ne dirais pas que
je suis pessimiste. Je dirais que nous avons espoir dans chaque action.
Il semble que ces derniers temps les Américains soient
devenus plus favorables aux pourparlers de Moscou. Au départ, ils ne
l’étaient pas. Hier, le secrétaire d’État Kerry a laissé entendre que
les États-Unis espéraient que les négociations avancent et qu’elles
réussissent.
Ils disent toujours des choses, mais il s’agit de ce qu’ils vont
faire. Et vous savez qu’il y a de la méfiance entre les Syriens et les
États-Unis Il suffit donc d’attendre ce qui se passera lors de la
conférence.
Selon vous, quel serait le meilleur moyen pour conclure un accord entre toutes les parties intervenant en Syrie ?
Ce serait de traiter directement avec les rebelles, en sachant que
vous avez deux types de rebelles. La majorité est représentée par
Al-Qaïda, c’est-à-dire l’EIIL, Jabhat al-Nousra et d’autres factions
similaires, moins importantes, mais qui appartiennent aussi à Al-Qaïda.
Le reste correspond à ce qu’Obama a désigné par « fantasy » et qu’il a
qualifié d’opposition modérée. Ce n’est pas une opposition. Ce sont des
rebelles. La plupart d’entre eux ont rejoint Al-Qaïda et, récemment,
certains ont rejoint l’Armée. La semaine dernière, beaucoup ont quitté
leurs groupes pour la rejoindre.
Ceux qui sont revenus étaient des déserteurs ?
Oui, ils sont revenus vers l’armée en disant : « Nous ne voulons plus
nous battre ». Ainsi, ceux qui restent de ce groupe sont peu nombreux.
Au bout de ce compte, pouvez-vous négocier avec Al-Qaïda et ceux-là ?
Eux ne sont pas prêts à négocier. Ils ont leur propre plan. La
réconciliation que nous avions initiée et que M. de Mistura va continuer
est la solution pratique sur le terrain. Ceci est un premier point. Le
deuxième est que vous devez appliquer la Résolution du Conseil de
sécurité N° 2170, adoptée il y a quelques mois, et relative à Jabhat
al-Nousra et à l’EIIL. Cette résolution est très claire et interdit à
quiconque de soutenir ces factions militairement, financièrement ou
logistiquement ; alors que la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar le
font encore. Si elle n’est pas mise en œuvre, nous ne pourrons pas
parler d’une véritable solution, car les obstacles persisteront tant
qu’ils dépenseront leur argent. C’est d’ailleurs par là qu’il faudrait
commencer. Le troisième point est que les pays occidentaux doivent ôter
le parapluie couvrant ceux qu’ils présentent comme une opposition
modérée. Ils savent que nous avons principalement affaire à Al-Qaïda, à
l’EIIL et à Al- Nousra.
Seriez-vous prêt à prendre des mesures pouvant renforcer
la confiance avant les pourparlers [de Moscou] ? Par exemple : échanges
de prisonniers, arrêt de l’utilisation de bombes à canon, libération de
prisonniers politiques, dans le but de prouver au camp adverse que vous
êtes prêt à négocier de bonne foi ?
Il ne s’agit pas d’une relation personnelle, mais de mécanismes. En
politique, on ne parle que des mécanismes. Il n’est pas nécessaire
d’avoir confiance en quelqu’un pour agir. Si le mécanisme est clair,
vous pouvez parvenir à un résultat. C’est ce que veut le peuple. La
question est : quel mécanisme pouvons-nous mettre en place ? Ce qui nous
ramène au même questionnement. Qui sont-ils ? Qui représentent-ils ?
Quelle influence ont-ils ? Sur quel point construire la confiance avec
des gens sans influence ?
Quand deux parties se rejoignent, il est souvent très
utile que l’une des deux montre à l’autre partie qu’elle souhaite
vraiment avancer, en prenant des mesures unilatérales pour tenter de
réduire la fièvre. Les mesures que j’ai décrites auraient cet effet.
Vous disposez d’une chose concrète, et c’est la réconciliation. Ils
ont abandonné leurs armes, nous leur avons donné l’amnistie, ils mènent
une vie normale. C’est un exemple réel et c’est une mesure de confiance.
D’autre part, quel rapport y’a-t-il entre cette opposition et les
prisonniers ? Il n’en y a aucun. De toute façon, ces prisonniers ne sont
pas des leurs et c’est donc une toute autre question.
Ainsi, vous avez offert l’amnistie aux combattants ?
Oui, bien sûr, et nous l’avons fait à plusieurs reprises.
Combien ? Avez-vous des chiffres ?
Je n’ai pas de chiffres précis, mais il s’agit de milliers de combattants et non de quelques centaines.
Êtes-vous prêt à dire à l’opposition, toute entière, que si elle déposait les armes, elle serait hors de danger ?
Oui. Je l’ai dit publiquement dans un de mes discours.
Comment pouvez-vous garantir qu’ils seront en sécurité ? Parce qu’ils ont des raisons de se méfier de votre gouvernement.
Vous ne pouvez pas. Mais, en fin de compte, nous avons ainsi obtenu
plus de 50% de réussites, ce qui est un succès dans de telles
circonstances. C’est ainsi. Rien n’est absolu. Vous devez vous attendre à
certains aspects négatifs, mais ce n’est pas l’essentiel.
Permettez-moi de passer à un autre sujet. Le Hezbollah,
la Force Al-Qods d’Iran et les milices chiites entraînées par les
Iraniens jouent désormais un rôle important dans la lutte contre les
rebelles ici, en Syrie. Compte tenu de ce fait, êtes-vous inquiet de
l’influence de l’Iran sur le pays ? Après tout, l’Irak et même le Liban
montrent qu’une fois une puissance militaire étrangère installée dans un
pays, il peut être très difficile de lui demander de repartir.
L’Iran est un pays important dans cette région et il était influent
avant la crise. Cette influence n’est donc pas liée à la crise. Elle est
liée à son rôle et à son positionnement politique général. Différents
facteurs font qu’un pays donné est influent. Au Moyen-Orient, notre
région, vous avez une même société, les mêmes idées, beaucoup de choses
qui se ressemblent, et les mêmes tribus qui vont et viennent à travers
les frontières. Donc, si vous pouvez influer sur un facteur, votre
influence franchira les frontières. Cela fait partie de notre nature et
n’est pas source de discorde. Mais, il est évident qu’en cas de conflits
et d’anarchie, un autre pays peut exercer un surcroit d’influence sur
le vôtre. C’est ce qui arrive lorsque vous n’avez pas la volonté d’être
un pays souverain. Ceci étant dit, la réponse à votre question est que
l’Iran n’a aucune ambition en Syrie et nous, en tant que pays, nous ne
permettrons jamais à n’importe quel autre pays d’influer sur notre
souveraineté. Nous ne l’accepterions pas et les Iraniens ne le
souhaitent pas non plus. Nous acceptons la coopération. Si nous
acceptions de subir l’influence de n’importe quel pays, pourquoi
refuserions-nous celle des États-Unis ? Là est le problème avec les
Américains et avec l’Occident : ils veulent l’influence, non la
coopération.
Permettez-moi de vous pousser un peu plus loin. La
semaine dernière, un commandant des forces aérospatiales des Gardiens de
la Révolution islamique, le général Hajizadeh, a déclaré que le Guide
suprême de l’Iran a ordonné à ses forces de construire et d’exploiter
des usines de missiles en Syrie. Ceci suggère que l’Iran est en train de
jouer un rôle plus important et le fait de son propre chef.
Non, non. Jouer un rôle par coopération est différent de jouer un rôle par hégémonie.
Donc, tout ce que l’Iran est en train de faire …?
Bien sûr… c’est en pleine coopération avec le gouvernement syrien, comme toujours.
L’Iran est un pays, mais vous avez des milices qui sont
des acteurs sub-étatiques plus compliqués à gérer. Le problème lorsqu’on
travaille avec ces groupes est que, contrairement à un gouvernement,
ils peuvent ne pas être disposés à coopérer et il n’est pas toujours
clair à qui s’adresser. N’êtes-vous pas inquiet de ne pouvoir les
contrôler et les freiner s’il le fallait ? Une deuxième question
étroitement liée : cette semaine, Israël a attaqué les forces du
Hezbollah dans le Golan, les Israéliens suggérant qu’ils l’ont fait
parce que le Hezbollah préparait une attaque contre Israël à partir du
territoire syrien. Est-ce que cela ne met pas aussi en évidence le
danger de laisser des milices ayant leurs propres agendas, pas
nécessairement les vôtres, intervenir dans la guerre ?
Vous parlez de milices syriennes ou, plus généralement, de toutes les autres ?
Je parle, plus particulièrement, du Hezbollah et des milices chiites irakiennes.
Disons que, normalement, seules les institutions gouvernementales et
étatiques sont la garantie de la stabilité et de l’ordre. Mais, dans
certaines circonstances, tout autre facteur qui jouerait un rôle
parallèle pourrait se révéler positif et bénéfique, en sachant qu’il
y’aura toujours des effets secondaires négatifs. Les milices qui
soutiennent le gouvernement sont un effet secondaire de la guerre. C’est
dans la nature des choses. Elles sont là et vous tentez de contrôler
leurs effets, parce que tout le monde sera plus tranquille si elles
coopèrent avec les institutions gouvernementales, l’Armée, la police… Ce
qui s’est passé à Quneitra est complètement différent. Depuis le
cessez-le feu de 1974, il n’y a jamais eu d’opération contre Israël à
partir du Golan. Ce n’est jamais arrivé. Donc, qu’Israël prétende avoir
agi contre une opération planifiée est fort loin de la vérité, juste une
excuse parce que les israéliens ont voulu assassiner quelqu’un du
Hezbollah.
Pourtant, depuis le début de la guerre, les Israéliens
ont été très attentifs à ne s’impliquer que s’ils considéraient que
leurs intérêts étaient directement menacés.
Ce n’est pas vrai, car ils lancent des attaques contre la Syrie depuis près de deux années, sans aucune raison.
Dans chaque cas, ils ont déclaré que c’était à cause des
armes offertes au Hezbollah par l’Iran et acheminées à travers la Syrie.
Ils ont attaqué les positions de l’Armée [syrienne]. Quel rapport entre le Hezbollah et l’Armée ?
Dans ces cas, l’armée aurait été accidentellement bombardée…
Ce sont de fausses allégations.
Selon vous, quel serait l’agenda d’Israël ?
Ils soutiennent les rebelles en Syrie. C’est très clair. À chaque
fois que nous progressons quelque part, ils lancent une attaque dans le
but de saper l’armée. D’où la blague de certains Syriens : « Comment
pouvez-vous dire qu’Al-Qaïda ne dispose pas d’une armée de l’air ? Elle
dispose de la force aérienne israélienne ».
Pour revenir à ma question sur les milices, êtes-vous sûr
que vous serez capable de les contrôler quand cette guerre prendra fin.
Après tout, la souveraineté effective de n’importe quel gouvernement
exige qu’il ait ce que l’on appelle le monopole de la force ; ce qui est
très difficile quand vous avez ces groupes armés indépendants dans les
parages ?
C’est évident : l’État ne peut s’acquitter de ses obligations envers la société s’il n’est pas le seul maître de l’ordre.
Pourtant, vous avez constaté combien c’est devenu
difficile, pour le gouvernement irakien, de contrôler toutes les milices
chiites qui se sont renforcées pendant la guerre.
En Irak, il y a une raison très importante à cela : Paul Bremer n’a
pas créé une Constitution pour l’État; il l’a créée pour les factions.
Alors qu’en Syrie, si l’armée a tenu bon pendant quatre années en dépit
de l’embargo et de la guerre menée par des dizaines de pays à travers le
monde, lesquels l’ont attaquée et ont soutenu les rebelles, c’est parce
qu’elle dispose d’une réelle et véritable Constitution laïque. En Irak,
la Constitution est sectaire. C’est dire que ce n’est pas une
Constitution.
Mais que ferez-vous face à ces milices, une fois la guerre terminée ?
Les choses devraient revenir à la normale, comme avant la guerre.
Et vous êtes confiant… ?
Oui. Nous n’avons pas d’autre choix. C’est le rôle du gouvernement. Cela va de soi.
Quel est l’impact de la baisse des prix du pétrole sur la
guerre en Syrie ? Après tout, vos deux plus proches alliés et soutiens,
l’Iran et la Russie, sont très dépendants des prix du pétrole et ont
subi de considérables dégâts budgétaires ces derniers mois, à cause de
cette baisse. N’êtes-vous pas inquiet qu’ils ne soient plus en mesure de
continuer à vous aider ?
Non, cela n’a pas d’effets sur la Syrie parce qu’ils ne nous donnent
pas d’argent. Et quand ils nous aident, c’est sous forme de prêts. Nous
sommes comme tout autre pays. Parfois nous payons, parfois nous avons
recours à des prêts.
Mais leur soutien militaire leur coûte de l’argent, et
ils disposent de moins d’argent pour payer leurs propres forces armées,
ceci ne risque t-il pas de devenir un problème ?
Non, parce que quand vous payez les armes ou toute autre marchandise, vous n’avez pas de problème.
Vous dites que tout ce que vous obtenez des Russes et Iraniens… ?
Jusqu’à présent, nous n’avons pas constaté de changements. Je ne peux
donc pas répondre à votre question concernant l’impact [de la baisse
des prix du pétrole] qu’ils subissent.
Lors de précédentes entrevues, vous avez dit que vous, et
votre gouvernement, aviez commis des erreurs au cours de cette guerre.
Quelles sont ces erreurs ? Y’a-t-il des choses que vous regretteriez ?
Tout gouvernement et toute personne commettent des erreurs. Une fois
de plus, c’est une donnée évidente. Mais lorsqu’il s’agit d’erreurs
politiques, il faudrait que vous reveniez sur les principales décisions
prises depuis le début de la crise. Nous en avons pris trois principales
: premièrement, rester ouverts à tout dialogue ; deuxièmement, modifier
la Constitution et la Loi dans le sens souhaité par beaucoup
d’opposants qui prétendaient qu’elles étaient autant de raisons de la
crise ; troisièmement, défendre notre pays pour nous défendre nous-mêmes
et combattre les terroristes. Je ne pense pas que ces trois décisions
aient été mauvaises et puissent être présentées comme des erreurs. En
revanche, si vous parler de pratiques, n’importe quel fonctionnaire,
n’importe où, est susceptible de commettre des erreurs. Il y a donc une
différence entre les erreurs de pratique et les erreurs de politique.
Pouvez-vous décrire certaines erreurs de pratique ?
Pour cela, je devrais revenir vers les fonctionnaires sur le terrain.
En cet instant, rien de précis ne me vient à l’esprit. Je préfère
parler des politiques.
Pensez-vous qu’il y a eu des erreurs de politique dont vous seriez responsable ?
J’ai déjà mentionné les principales décisions.
Mais vous avez dit que ce n’étaient pas des erreurs.
Défendre le pays contre le terrorisme ? Si j’avais voulu vous dire
que c’étaient des erreurs, j’aurais dit qu’il serait préférable de
soutenir les terroristes.
Je demande juste s’il y a quelque chose que vous avez fait et que, rétrospectivement, vous feriez autrement.
Concernant ces trois principales décisions, elles étaient bonnes, j’en suis sûr.
Concernant les erreurs de pratiques commises à un niveau
inférieur, est-ce que les responsables ont rendu des comptes pour, par
exemple, les violations des droits de l’homme, l’usage excessif de la
force, le ciblage au hasard des civils, et ce genre de choses ?
Oui. Certaines personnes ont été arrêtées parce qu’elles avaient
violé la loi dans ces domaines ; ce qui, évidemment, arrive dans de
telles circonstances.
En rapport avec les civils et les manifestants. Est-ce à cela que vous faites allusion ?
Oui, tout au début des manifestations. Oui.
Depuis que les États-Unis ont lancé leur campagne
aérienne contre l’État islamique, eux et la Syrie sont devenus
d’étranges partenaires coopérant effectivement dans ce combat.
Voyez-vous la possibilité d’une coopération accrue avec les États-Unis ?
La possibilité est certainement toujours là, parce nous en parlons et
que nous sollicitons une coopération internationale contre le
terrorisme depuis trente ans. Mais cette possibilité nécessite de la
volonté. La question que nous posons est : est-ce que les États-Unis ont
vraiment la volonté de combattre le terrorisme sur le terrain ? Jusqu’à
présent, nous n’avons pas constaté quelque chose de concret malgré
leurs attaques contre l’EIIL dans le nord de la Syrie. Rien de concret.
Ce que nous avons vu est, disons, juste une vitrine. Rien de réel.
Depuis le début de ces attaques, l’EIIL a gagné plus de terrain en Syrie
et en Irak.
Qu’en est-il des frappes aériennes sur Kobané ? Elles ont été efficaces pour ralentir l’EIIL.
Kobané est une petite ville d’environ 50 000 habitants. Cela fait
plus de trois mois que les frappes ont commencé, et ils n’en ont pas
terminé. Des surfaces identiques occupées par les mêmes factions
d’Al-Qaïda ont été libérées par l’Armée syrienne en moins de trois
semaines. Cela signifie qu’ils ne sont pas sérieux dans leur lutte
contre le terrorisme.
Donc, vous êtes entrain de dire que vous voudriez que les États-Unis s’impliquent plus dans la guerre contre l’EIIL ?
Il ne s’agit pas de plus d’implication militaire, parce que le
problème n’est pas seulement militaire, mais politique. Jusqu’à quel
point les États-Unis veulent-ils agir sur les Turcs ? Car si les
terroristes ont pu résister aux frappes aériennes pendant toute cette
période, c’est bien parce que la Turquie continue à leur envoyer des
armes et de l’argent. Est-ce que les États-Unis ont mis la pression sur
la Turquie pour qu’elle cesse de soutenir Al-Qaïda ? Ils ne l’ont pas
fait. Il ne s’agit donc pas d’implication militaire US uniquement.
Ensuite, concernant l’engagement militaire, les responsables américains
admettent publiquement que sans troupes au sol, ils ne pourront aboutir à
rien de concret. De quelles troupes au sol disposent-ils ?
Vous suggérez qu’il devrait y avoir des troupes US sur le terrain ?
Pas des troupes US. Je parle d’un principe, le principe militaire. Je
ne parle pas de troupes US. Si vous dites que vous voulez faire la
guerre contre le terrorisme, il vous faudra des troupes sur le terrain.
Alors, la question que vous devez poser aux Américains est : sur quelles
troupes allez-vous compter ? Ce sera, sans aucun doute, sur les troupes
syriennes. C’est notre terre, c’est notre pays. Nous en sommes
responsables. Nous ne sollicitons aucunement des troupes US.
Alors, qu’attendez-vous des États-Unis ? Vous avez mentionné plus de pression sur la Turquie…
Pression sur la Turquie, pression sur l’Arabie saoudite, pression sur
le Qatar, pour qu’ils arrêtent de soutenir les rebelles. Deuxièmement,
coopération légale avec la Syrie en commençant par demander
l’autorisation de notre gouvernement avant de mener ces attaques. Ils ne
l’ont pas fait. C’est donc illégal.
Je suis désolé, je n’ai pas bien saisi. Vous voulez qu’ils rendent légal… ?
Bien sûr, si vous envisagez n’importe quel type d’action dans un autre pays, vous lui demandez une autorisation.
Je vois. Un accord formel entre Washington et Damas autorisant les frappes aériennes ?
La forme, nous pouvons en discuter plus tard, mais vous commencez par
l’autorisation. Sous forme d’accord ? Sous forme de traité ? C’est une
autre question.
Et vous seriez prêts à franchir le pas pour faciliter la coopération avec Washington ?
Avec tout pays qui serait sérieux en ce qui concerne la lutte contre
le terrorisme. Nous sommes prêts à coopérer, s’ils sont sérieux.
Quelles mesures seriez-vous prêts à prendre pour prouver à Washington que vous voulez coopérer ?
Je pense que c’est à eux de prouver cette volonté. Nous nous battons déjà sur le terrain. Nous n’avons pas à le démontrer.
Les États-Unis sont actuellement entrain de former 5000
combattants syriens et ont programmé leur entrée sur le territoire
syrien en mai. Maintenant, le général américain John Allen a été très
prudent en déclarant que ces troupes ne seront pas dirigées contre le
gouvernement syrien, mais se focaliseront sur l’EIIL uniquement. Que
ferez-vous quand ces troupes entreront dans le pays ? Allez-vous leur
permettre d’entrer ? Allez-vous les attaquer ?
Les troupes qui ne travaillent pas en collaboration avec l’Armée
syrienne sont illégales et devraient être combattues. C’est très clair.
Même si cela vous amène à entrer en conflit avec les États-Unis ?
Sans coopération avec les troupes syriennes, elles sont illégales et
sont les pantins d’un autre pays. Elles seront donc combattues comme
toute autre milice illégale se battant contre l’Armée syrienne. Mais
cela amène une autre question à propos de ces troupes. Obama les a
qualifiées de « fantasy ». Comment un fantasme devient-il réalité ?
Je pense que c’est avec cette sorte de programme de formation.
Mais vous ne pouvez pas former un extrémisme modéré.
Il y a encore quelques éléments modérés dans
l’opposition. Ils sont de plus en plus faibles, mais je pense que le
gouvernement US tente, très soigneusement, de s’assurer que les
combattants qu’il forme ne sont pas radicaux.
Reste à savoir pourquoi l’opposition modérée -vous les appelez
opposition, nous les appelons rebelles- est de plus en plus faible ?
C’est bien en raison de l’évolution de la crise syrienne. En ramener
5000 de l’extérieur conduira à ce que la plupart d’entre eux fassent
défection et rejoignent l’EIIL ou d’autres groupes, comme cela s’est
produit au cours de l’année dernière. C’est pourquoi j’ai dit que
c’était encore une illusion. Ce ne sont pas les 5000, mais l’idée
elle-même qui est illusoire.
Ce qui rend Washington si réticent à coopérer
officiellement avec vous, ce sont des accusations de graves violations
des droits humains par votre gouvernement. Ces accusations ne
proviennent pas uniquement du gouvernement US, mais aussi de la
Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, et de la Commission
spéciale d’enquête indépendante de l’ONU. Je suis sûr que ces
accusations vous sont familières. Elles comprennent les refus d’accès
aux camps de réfugiés pour les groupes de secours, les bombardements de
cibles civiles, les preuves photos d’un transfuge syrien -ayant pour nom
de code César- présentées devant le Congrès américain et montrant de
terribles tortures et abus dans les prisons syriennes. Êtes-vous disposé
à prendre des mesures sur ces questions afin de faciliter la
coopération avec les États-Unis ?
Le plus drôle chez cette administration est que c’est la première de
l’Histoire à construire ses évaluations, puis ses décisions, à partir
des médias sociaux. Nous l’appelons la « social media administration »,
ce qui n’est pas le cas de la gestion des politiques. Aucune des
accusations que vous avez mentionnées n’est concrète. Ce sont des
allégations. Vous pouvez présenter des photos de n’importe qui et
accuser de torture. Qui a pris ces photos ? Qui est-il ? Personne ne le
sait. Il n’y a aucune vérification. Ce sont des allégations sans
preuves.
Mais les photos de César ont été examinées par des enquêteurs européens indépendants.
Non, non. Il est financé par le Qatar, et ils disent que c’est de
source anonyme. Donc rien n’est clair ou avéré. Les photos ne montrent
pas clairement de qui il s’agit. Juste des clichés montrant, par
exemple, une tête avec quelques crânes. Qui a dit que c’est le fait du
gouvernement et non des rebelles ? Qui a dit que la victime est syrienne
et non quelqu’un d’ailleurs ? Ainsi, des photos, publiées au début de
la crise, venaient d’Irak et du Yémen. Ensuite, les États-Unis en
particulier, et l’Occident en général, ne sont pas en position de parler
des droits humains. Ils sont responsables de la plupart des tueries
dans la région et spécialement les États-Unis depuis leur invasion de
l’Irak, ainsi que le Royaume-Uni depuis son invasion de la Libye ; de la
situation au Yémen ; de ce qui est arrivé en Égypte en soutenant les
Frères Musulmans ; de ce qui est arrivé en Tunisie en soutenant le
terrorisme. Tous ces problèmes ont eu lieu à cause des États-Unis. Ils
ont été les premiers à fouler aux pieds le droit international et les
résolutions du Conseil de sécurité, pas nous.
C’est peut-être vrai ou pas, mais ce sont là des
questions distinctes, et cela n’exonère pas votre gouvernement de sa
responsabilité.
Non, non. Les États-Unis nous ont accusés, nous devions donc répondre
à cette partie de la question. Je ne dis pas qu’en cas d’atteinte et
d’infraction violente aux droits de l’homme, le gouvernement [syrien]
n’a aucune responsabilité. C’est un autre sujet. La deuxième partie de
votre question porte sur des accusations qui demeurent des allégations.
Si vous voulez une réponse, je dois répondre à quelque chose de concret,
de prouvé et de vérifié.
Êtes-vous prêts à nier catégoriquement qu’il y a torture et mauvais traitements des prisonniers, en Syrie ?
Si la vérification de ces allégations pouvait se faire de façon
impartiale et équitable, bien sûr que nous sommes prêts. Ce serait dans
notre intérêt.
Quel serait l’impact d’un accord nucléaire américano-iranien sur la Syrie ?
Nul. Parce que la crise [syrienne] n’a jamais fait partie des
négociations, l’Iran a refusé qu’il en soit ainsi. Et c’est une bonne
chose, car il n’y a pas de lien entre les deux.
Mais beaucoup aux États-Unis prévoient que si l’Iran et
les États-Unis concluent un accord, il facilitera la coopération entre
les deux pays. Dès lors, certains se demandent si l’Iran ne réduirait
pas son soutien à la Syrie en tant que faveur accordée au gouvernement
US.
Nous n’avons jamais eu d’information à ce sujet, jamais. Je ne peux pas parler d’un sujet sur lequel je n’ai aucune information.
Décrivez [la guerre en Syrie], au cas où vous penseriez
qu’elle va dans le bon sens du point de vue de votre gouvernement. Des
analystes indépendants ont suggéré que votre gouvernement contrôle
actuellement 45% à 50% du territoire syrien.
Tout d’abord, si vous voulez une description de l’arène, ce n’est pas
une guerre entre deux pays, entre deux armées, avec incursion et perte
d’une partie du territoire qu’il vous faut reprendre. Ce n’est pas cela.
Nous parlons de rebelles qui s’infiltrent dans les zones habitées par
des civils. Vous avez des terroristes syriens qui soutiennent des
terroristes étrangers et les aident à se cacher parmi ces civils. Ils
lancent ce que vous appelez des attaques de guérilla. C’est la forme de
cette guerre, de sorte que vous ne pouvez pas la regarder comme étant
une question de territoire. Ensuite, là où l’armée syrienne a voulu
pénétrer, elle a réussi, mais elle ne peut être présente sur chaque
kilomètre du territoire syrien. C’est impossible. Nous avons opéré
quelques avancées ces deux dernières années. Mais si vous me demandez
« Est-ce qu’elle va bien ? », je réponds que toute guerre est mauvaise,
car vous perdez toujours et qu’il y a toujours de la destruction. La
principale question est : qu’avons-nous gagné dans cette guerre ? Ce que
nous avons gagné est que le peuple syrien a rejeté les terroristes ;
qu’il a encore plus soutenu son gouvernement et son Armée. Avant de
parler de gagner des territoires, parlons de gagner les cœurs, les
esprits et le soutien du peuple syrien. C’est ce que nous avons gagné.
Le reste est d’ordre logistique et technique. C’est une question de
temps. La guerre va dans le bon sens, mais n’empêche pas les pertes au
niveau national. Vous perdez des vies, vous perdez votre infrastructure,
et la guerre elle-même a de très mauvais effets sur la société.
Pensez-vous que vous finirez par vaincre les rebelles militairement ?
S’ils n’ont pas d’appui extérieur et, disons-le, s’ils ne sont pas
alimentés par le recrutement de nouveaux terroristes, il n’y aurait
aucun problème pour les vaincre. Même aujourd’hui, nous n’avons pas de
problème militaire. Le problème réside dans cette alimentation continue
et, principalement, en provenance de Turquie.
Donc, la Turquie semble être le voisin qui vous préoccupe le plus ?
Exactement. Aussi bien du point de vue logistique que du point de vu
du financement du terrorisme par l’Arabie saoudite et le Qatar, à
travers la Turquie.
Blâmez-vous Erdogan en personne ? Vous aviez autrefois de bonnes relations avec lui.
Oui. Parce qu’il appartient à l’idéologie des Frères Musulmans qui
est la base d’Al-Qaïda et qui fut la première organisation politique
islamique à favoriser un Islam politique violent au début du XX
ème
siècle. Il y est fortement ancré et est un farouche partisan de ses
valeurs. Il est très fanatique, et c’est pourquoi il soutient toujours
l’EIIL. Il est personnellement responsable de ce qui est arrivé.
Voyez-vous d’autres partenaires potentiels dans la région ? Par exemple, le général Al-Sissi en Égypte ?
Je ne voudrais pas parler de lui personnellement, mais aussi
longtemps que l’Égypte, son armée et son gouvernement, combattront le
même genre de terroristes -comme en Irak- nous pouvons certainement
considérer ces pays comme susceptibles de coopérer à notre combat contre
un même ennemi.
Deux questions finales, si vous le permettez. Pouvez-vous
imaginer un scénario où la Syrie reviendrait au statu quo d’avant les
combats, il y a près de quatre ans ?
Dans quel sens ?
Dans le sens où la Syrie est à nouveau unie, non divisée,
contrôle ses frontières, commence sa reconstruction dans un pays en
paix où prédomine la laïcité.
Si vous regardiez la carte militaire actuelle, vous verriez que
l’Armée syrienne est présente partout. Pas en tout lieu, ni en tout
coin, mais au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, et au centre. Si le
gouvernement n’avait cru en une Syrie unifiée qui retrouverait sa
position, il n’aurait pas déployé l’Armée. Si le peuple n’y avait cru,
vous auriez vu les gens isolés dans des ghettos, en fonction de leur
ethnie, de leur confession ou religion. Tant qu’il en est ainsi, que les
gens continuent à vivre ensemble, que l’Armée est partout en sachant
qu’elle est composée de toutes les couleurs du tissu social syrien, cela
signifiera que nous croyons, tous, que la Syrie redeviendra ce qu’elle
était. Nous n’avons pas d’autre choix. Dans le cas contraire, tous les
pays voisins seront affectés. S’agissant d’un même tissu, l’effet
domino s’étendra de l’Atlantique au Pacifique.
Aujourd’hui, si vous deviez adresser un message au Président Obama, quel serait-il ?
Je pense que, normalement et partout dans le monde, l’on s’attend à
ce qu’un fonctionnaire travaille dans l’intérêt de son peuple. Alors,
les questions que j’aimerais poser à tout Américain sont : Que
gagnez-vous à soutenir les terroristes dans notre pays, dans notre
région ? Qu’avez-vous obtenu en soutenant les Frères Musulmans, il y a
quelques années, en Égypte et dans d’autres pays ? Qu’avez-vous obtenu
en soutenant quelqu’un comme Erdogan ? Il y a sept ans, l’un des
représentants de votre pays m’a demandé à la fin d’une réunion, en
Syrie : « Comment pensez-vous que nous pourrions résoudre le problème en
Afghanistan ? ». Je lui avais répondu : « Vous devriez être capables de
traiter avec des fonctionnaires qui ne sont pas des marionnettes et qui
peuvent dire non ». Donc, que les États-Unis cherchent uniquement des
responsables marionnettes et des états clients, n’est pas le moyen de
servir les intérêts de votre pays. Vous êtes la plus grande puissance
dans le monde d’aujourd’hui, vous avez beaucoup de choses à propager
dans le monde entier : la connaissance, l’innovation, l’intelligence
artificielle avec ses effets positifs. Comment pouvez-vous être les
meilleurs dans ces domaines et les pires en matière de politique ? C’est
contradictoire. Je pense que le peuple américain devrait analyser et se
poser ces questions. Pourquoi avez-vous échoué dans toutes les
guerres ? Vous pouvez créer la guerre, vous pouvez créer des problèmes,
mais vous ne pouvez en résoudre aucun. Vingt ans que dure le processus
de paix en Palestine et en Israël et vous ne pouvez rien y faire, bien
que vous soyez un grand pays.
Mais dans le contexte de la Syrie, à quoi ressemblerait une meilleure politique [US] ?
À celle qui préserve la stabilité au Moyen-Orient. La Syrie est le
cœur du Moyen-Orient. Tout le monde sait cela. Si le Moyen-Orient est
malade, le monde entier sera instable. Lorsque nous avions commencé le
processus de paix, en 1991, nous avions beaucoup d’espoir. Maintenant,
plus de vingt ans après, les choses ne sont même pas au point de départ,
mais bien en-deçà. Donc, la politique US devrait aider à la paix dans
la région, à combattre le terrorisme, à promouvoir la laïcité, à
soutenir le secteur économique, à la progression de l’esprit et de la
société comme c’est le cas dans votre pays. Telle est la mission
supposée des États-Unis, non celle de déclencher des guerres. Déclencher
la guerre ne fait pas de vous une grande puissance.
Dr Bachar al-Assad
Président de la République arabe syrienne
26/01/2015
Texte traduit de l’anglais par Mouna Alno-Nakhal
Source : Foreign Affairs Magazine
http://www.foreignaffairs.com/discussions/interviews/syrias-president-speaks